Elle est Prof et (elle) ça vous emmerde

Cécile Bonnet est une institutrice française enseignante de CP en Nouvelle-Orléans.

Dans son blog, « Once upon a time in New Orleans«  elle raconte son quotidien et partage ses petits coups de gueule.

Le dernier en date: « Je suis prof et (je) ca vous emmerde«  frappe ou ça fait mal, dans une société symptomatique du malaise entre public et privé.

Le voici retranscrit ci-dessous.

Hier, quelqu’un m’a dit «Encore en vacances ? Mais tu travailles jamais ! ».

Dans ton imaginaire, j’ai probablement les joues roses et l’oeil alerte, je sautille d’élève en élève pour leur expliquer en comptines les règles difficiles et je dors du sommeil de la bien-heureuse, fière du métier accompli et comblée par mes nombreux loisirs : cuisine, guitare, peinture sur verre et scrapbooking. Alors, cher quelqu’un, sache que mes dix dernières semaines travaillées 50 heures chacune, seule devant mon ordinateur, devant mes élèves ou devant mes cahiers, ne me laissent même pas l’énergie de faire ma lessive. Je suis crade, j’ai des cernes et je suis proche du coma par épuisement. Et pendant ce temps, mes élèves continuent de sautiller, sans fin.

Hier, quelqu’un m’a dit « T’as de la chance quand même, à 4 heures tu as fini ta journée. »

Dans ton imaginaire, j’ai probablement une armée de petits elfes qui vient le soir à l’école imprimer mes exercices et corriger mes copies, ce qui me permet de manger mon choco BN trempé dans du lait, tranquillement installée sur mon canapé pour le goûter. Alors, cher quelqu’un, sache que pour moi, à 4 heures la journée commence réellement et le plus dur est devant moi. Plusieurs heures de travail fastidieuses, les yeux plissés sur les lignes bleues des cahiers pour ne surtout pas laisser passer la moindre faute, synonyme d’une réaction immédiate d’un parent mécontent, prof indigne que je suis. Et pendant ce temps, mes élèves continuent de coller leurs feuilles à l’envers et d’écrire octobre sans r.

Hier, quelqu’un m’a dit « Oui, enfin bon, l’addition posée c’est pas bien compliqué».

Dans ton imaginaire, la tâche la plus ardue de mon travail consiste probablement à calculer une division à deux chiffres. J’ai d’ailleurs arrêté ma scolarité en 5ème parce que je n’en voyais pas l’utilité pour faire maîtresse en CP. Alors, cher quelqu’un, sache que la pédagogie est une science complexe, et que chaque activité simpliste proposée à mes élèves est en fait le fruit d’une réflexion intense qui fait fumer mon cerveau. Activités qu’il faut penser progressives, et répartir sur la semaine, la période, l’année, le cycle… mais je te perds, je manque de pédagogie. Et pendant ce temps, les élèves continuent d’oublier la retenue.

Hier, quelqu’un m’a dit « Moi aussi, je garde ma petite nièce le mercredi. »

Dans ton imaginaire, je fais donc probablement de la garderie. On fait des peintures libres avec les doigts, on joue à 1-2-3 soleil et on se lave les dents avant d’aller à la sieste. Alors, cher quelqu’un, sache que moi je ne garde pas ta petite nièce les autres jours. J’enseigne, je répète, j’éduque, je soigne, j’écoute, je dialogue, j’apprends. Je fais prof, infirmière, psychologue, gendarme, assistante sociale, médiatrice, mais pas nounou. Et pendant ce temps, mes élèves continuent de travailler, de se tromper et d’apprendre.

Hier quelqu’un m’a dit « J’aurais dû faire prof aussi».

Dans ton imaginaire, être prof c’est probablement avoir plein de vacances, finir de travailler à 4 heures, enseigner les rudiments et passer le temps entre récréations, art et sport. Alors, cher quelqu’un, sache que le concours est ouvert à tout le monde et qu’on accepte beaucoup mieux les nouveaux collègues que les remarques exaspérantes. Sache que tu signeras aussi pour y avoir droit toute ta vie, avec un sourire forcé. Mais comme on aime notre métier, on est prêt a tout entendre…

« Ah non, mais moi, toute la journée avec des enfants, je peux pas. » Ben tu vois, nous on peut, mais il nous faut des vacances. Deal.

Et parce que, chers quelques uns, vous êtes ma meilleure source d’inspiration, une petite mise à jour:

Aujourd’hui quelques-uns m’ont dit « Tu te plains tout le temps. »

Dans votre imaginaire, j’ai probablement des pancartes de manif greffées au bout des bras et je suis plus proche de Grognon que de Prof au quotidien. Alors, chers quelques-uns, sachez que je ne suis pas plaignante (Non-coupable. Ne me brûlez pas sur le bûcher.), je suis énervée. ARRRRRRGGGGGHHHHHHHHH. Et pendant ce temps, je continue à aller à l’école avec le sourire, Simplette que je suis.

Aujourd’hui quelques-uns m’ont dit « Tu crois que tu fais le métier le plus difficile du monde et que t’es au-dessus des autres. »

Dans votre imaginaire, j’ai probablement mon diplôme d’instit encadré dans mon hall d’entrée et je me réunis avec ma secte de profs le mercredi après-midi pour baver sur les autres professions. Alors, chers quelques-uns, sachez que je ne fais pas une hiérarchie des métiers et que je suis aussi admirative de mon médecin, la caissière du supermarché, le barman du PMU… Et pendant ce temps, je continue d’avoir des conversations enrichissantes avec ma copine styliste.

Allez, je vous laisse, j’ai pas le temps, je suis en vacances. Okay, Coupable. Brûlez-moi.